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TEXTES d'adhérents - 10. Qui décide ? ( par Michel Auffray )
Texte envoyé par Michel AUFFRAY J'ai lu et relu avec attention les rapports sur les diverses législations réglementant l’aide active à mourir dans les pays qui l’ont autorisée sous l’une ou l’autre forme. Depuis longtemps, je voulais exprimer à ce sujet l' idée suivante . Pour faire avancer l’aide active à mourir, il faut s’appuyer sur des idées préalables claires. Or celles-ci me semblent faire défaut à tous ceux à qui l’on a donné, à quelque titre que ce soit, la charge de ce problème qui touche principalement à la métaphysique : les députés et sénateurs qui font la loi, les juristes qui les conseillent et les médecins qui apportent la prestigieuse autorité de leur science, tous me semblent, chacun dans son domaine propre, dépourvus de la formation philosophique nécessaire pour aborder une telle question autrement qu’avec des arguments de bistro. Je voudrais seulement soulever trois interrogations.
1 / Pourquoi, en français et sans doute dans toutes les autres langues de notre monde occidental, pourquoi n’existe-t-il malheureusement qu’un seul mot pour désigner deux phénomènes bien différents, qui n’ont même, osons le dire, aucun rapport entre eux ? Je veux parler d’une part, de la mort des autres, et d’autre part de notre propre mort ? On peut parler, d’un ton sérieux et convaincu, de « la mort » en général, et il s’agit alors de la mort des autres : un phénomène que l’on pourrait assimiler à un accident, douloureux, triste, blessant mais pas tragique, car on l’examine extérieurement par l’effet qu’il produit sur la famille, les proches, l’entourage médical, et sur tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, « ressentent » , chacun à sa façon (extérieure), la douleur de cette disparition. Le mot même de « disparition » indique bien, d’ailleurs, qu’on peut parler de cette mort de l’autre comme d’un événement ou d’un accident de la vie. Mais d’autre part, on peut affirmer que notre mort à nous, celle qui mettra un terme à notre propre vie, que notre propre mort est, pour l’être humain que nous sommes, un événement radicalement différent de toutes les autres morts. Un événement qui ne mérite donc pas la même dénomination, car l’être qui se sent mourir se sent passer de l’existence au néant : ce qu’il voit, ce n’est pas, comme dans la mort des autres, le spectacle d’une agonie. Et d’ailleurs, ce qu’il voit, ce n’est pas un spectacle du tout : il se voit partir lui-même vers un non-monde, vers une non-vie. Comme s’il n’était jamais né, il sent que le monde lui-même ne va plus exister. Les objets, les personnes, les paysages, les sentiments : tout disparaît sous ses pieds pour le plonger dans la seule véritable tragédie de son existence. Comment nommer une telle, une aussi effarante situation ?
2 / Que viennent faire, au milieu de cette tragédie, les juristes, les médecins et autres législateurs ? Pour réfléchir à la meilleure façon d’aborder ce passage tragique, je ne vois pas en quoi les juristes, les élus de la nation ou les médecins sont plus qualifiés que le frère ou la sœur de celui qui se prépare à mourir, ou que le boulanger à qui, depuis trente:ou quarante ans, il a dit chaque matin « bonjour » et « merci ». Ma propre mort n’est pas affaire de loi ni de réglementation : c’est un problème métaphysique. Dans toutes les nouvelles législations, on essaie de réunir une sorte de comité technique de la mort, où figurent toujours, et comme de droit ou d’évidence, un ou plusieurs médecins. Or, les médecins, nous les connaissons bien. Ils étaient là pour essayer de me guérir, mais ils ont échoué. Alors, aujourd’hui, que savent-ils de cette tragédie qu’est, je le répète, ma propre mort . Sans doute ont-ils vu mourir, en spectateurs, un grand nombre de malades, mais que savent-ils au sujet de ma propre mort ? Rien. Leur science de la guérison, toute relative, laisse penser, bien sûr, qu’ils ont, sur cette question, une opinion particulièrement fondée, éclairée et juste. Mais s’ils ont échoué dans la guérison, qui est leur spécialité et leur raison d’être, comment pouvons-nous croire qu’ils sont les mieux placés pour décider, à notre place, ce que doit être notre mort ? Et leur science justifie-t-elle une insupportable arrogance devant cette tragédie qu’est ma mort ? Les seuls qui ont un titre, et qui sauront m’aider dans cette impensable et incommensurable tragédie, ce ne sont pas ces savants médecins, pas plus que des juristes ni des élus anonymes : ce sont ceux que j’ai aimés, pendant cette vie qui va disparaître dans le néant. S’il vous plaît, messieurs les députés, renvoyez donc tous ces spécialistes à leur spécialité qui n’est pas la mort, et encore moins ma mort à moi, mais la guérison : et puisqu’ils ont échoué à me faire vivre, ils ne me sont à présent d’aucune utilité au sein de ce petit «comité technique ». Faites en sorte, par vos lois, qu’au moment de cette tragédie atroce, je sente seulement le regard, le souffle ou la main de ceux que j’ai aimés, et que j’ai choisis. De grâce, ne confiez pas le soin de ma mort à aucun de ces prétendus spécialistes de la mort. J’ai vu ma mère, catholique très fervente, mourir chez elle à l âge de 67 ans. Elle avait eu onze enfants. Eh bien, en dépit de sa piété, elle n’a demandé, au moment de mourir, ni un missel, ni un crucifix : elle a simplement récité le prénom de chacun de ses onze enfants, et puis elle a cessé de respirer. Même la religion passait, à ce moment-là, après l’amour. Faites donc des lois qui réservent à l’amour le droit de s’exprimer au sujet de ma mort. La douleur ressentie par celui qui meurt est d’un ordre infini : pour « régler » le problème, ne venez pas y mêler les réflexions grotesques et primaires de tous ces horribles fossoyeurs. Éloignez-les au contraire. Que vos lois les tiennent à l’écart puisque leur mission a cessé, et puisqu’a cessé du même coup leur raison d’être là. Qu’ils se contentent de nous faire passer, par la porte un instant entrebâillée, la potion dont la loi leur aura réservé le secret de fabrication. Mais que la loi soit protectrice, dans ce moment tragique. Qu’elle dise, une fois pour toutes, que les décisions relatives à ma mort seront prises, non par tel ou tel collège de spécialistes, mais d’abord par moi, et, en cas d’impossibilité, uniquement par ceux que j’aurai désignés, et que je sais, et que je sens qui m’ont aimé, et qui m’envelopperont ce jour-là de ce linceul d’amour.
3 / Plutôt que d’avoir à écouter les pompeux discours de nos députés, j’aimerais pouvoir lire sur internet les témoignages que vous avez publiés dans vos tribunes libres du journal de l’ADMD., et qui sont la chair et les os de toute réflexion sur notre propre mort. On y trouvera les témoignages de ceux qui n’ont aucune idée a priori à apporter dans le débat, mais qui ont vécu un jour, près d’un parent ou un ami, cette tragique plongée dans le vide devant laquelle se dérobe la pensée. Ces gens-là, bien mieux que nos députés ou nos médecins, disent la vérité : c’est que l’homme doit être le seul maître de sa mort. Dans le dernier numéro du journal de l’ADMD, on peut lire la sentence rendue, en Grande Bretagne, par le Director of Public Prosecutions, saisi par la Chambre des Lords dans le cadre de l’affaire Debbie Purdy. Cette sentence reflète le bon sens qui imprègne en Angleterre la formulation et l’exécution des textes législatifs : « Chaque individu a droit au respect de sa vie privée et la manière dont madame Purdy entend passer les derniers moments de sa vie fait partie de l’acte de vivre. Madame Purdy désire éviter une fin indigne et traumatisante. Elle est en droit de demander que ce soit respecté ». On ne peut rien ajouter, sinon que nos législateurs français seraient bien inspirés de suivre l’exemple de leurs collègues britanniques. Je ne suis pas croyant, mais je ne vois pas pourquoi la croyance en un au-delà empêcherait d’humaniser et d’adoucir la fin de notre vie. Nous vivons les derniers moments d’une coutume barbare et païenne, que l’absence de culture philosophique essaie d’habiller d’oripeaux humanistes réunis sous le concept fumeux et incompréhensible du « respect de la vie », auquel on ajoute un peu de la vertu rédemptrice de la douleur. Souhaitons tous que l’ADMD avance, sans se laisser impressionner par les savants et les professeurs de tous bords, vers une vraie et concrète liberté de choisir ma mort.
Date de création : 25/09/2013 @ 16:34 Réactions à cet article
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